Cet article au format pdf au plus haut niveau des performances humaines, a été résolu il y a plus de 30 ans. Voici comment…
Du Bridge aux véhicules autonomes : comprendre son environnement... L'Intelligence Artificielle et le Bridge En 2019 Will-Bridge, société française créée en 1987 par Paribas, le Club Med et le Commissariat à l'Energie Atomique pour exploiter les travaux en Intelligence Artificielle de Philippe Pionchon, est leader mondial dans le domaine du jeu de Bridge en ligne. Cette société a créé il y a 30 ans d'importantes avancées en Intelligence Artificielle qui dépassent largement le domaine du bridge et qui peuvent aujourd'hui être utilisées dans divers domaines comme par exemple celui des véhicules autonomes ou des robots androïdes où il est indispensable, comme au Bridge, de "comprendre son environnement".
Le Bridge : un domaine d'"expertise"
... et non de "force brute" 1- Qu'est-ce que l'Intelligence Artificielle ? 2- Les Systèmes Experts 3- La logique symbolique 4- Véhicules autonomes et androïdes : "Systèmes Experts hybrides" 5- Enchères et entame : problèmes de Connaissance 6- Un problème d'expert 7- "Systèmes Experts inverses" - "Systèmes Experts bimoteurs" 8- Les "expertons", variables stratégiques 9- L'efficacité des "expertons" 10- Un outil puissant de développement 11- Problèmes de réflexion : les jeux de stratégie 12- Le paradoxe de la difficulté 13- Le Bridge est plus simple... donc plus compliqué ! 14- Au Bridge, il y a « obligation de résultat » 15- La problématique du jeu de la carte 16- L'efficacité d'un "Système Expert hybride" 17- L’idée de base : la métaconnaissance 18- Prématuré ! L’Intelligence Artificielle est une discipline qui a pour vocation de simuler le comportement humain dans ses activités de perception, de compréhension ou de décision. Elle s’exerce dans différents domaines : reconnaissance de forme, reconnaissance de la parole, analyse du langage, résolution de problème, etc…. Il y a, d'après Philippe Pionchon, plusieurs façons de traiter cette simulation suivant le domaine traité et les objectifs recherchés : En ce qui concerne le domaine de "résolution de problème", qui nous intéresse ici, l’Intelligence Artificielle "analogique" choisie se caractérise par une approche originale dans le traitement informatique des problèmes qui consiste, non pas comme dans un système classique, à décrire la résolution du problème, ce qui nécessite de connaître l’algorithme de résolution, mais à mettre en place une structure informatique permettant à l’ordinateur de résoudre lui-même le problème : cette structure étant en place, il suffira alors de décrire le problème, et non plus la résolution du problème. C’est là l’idée fondamentale qui a donné naissance aux «Systèmes Experts» destinés à traiter les problèmes dits de «Connaissance». Les Systèmes Experts sont des systèmes informatiques dans lesquels on a collecté la Connaissance des experts d’un domaine donné, et qui savent traiter cette connaissance en utilisant la puissance de calcul d’un ordinateur pour étudier les corrélations existant entre les éléments de cette Connaissance et en tirer des conclusions, des « inférences », qui viennent elles-mêmes compléter cette « Base de Connaissance », etc…. Dans de nombreux domaines en effet, la problématique de la Connaissance se pose en termes de corrélations et d’inférences entre les objets de ce domaine. L’exploitation de cette Connaissance pourra même établir de nouvelles inférences qui viendront enrichir cette Connaissance en un processus d'auto-apprentissage. Dans le traitement de ce genre de problèmes de type non algorithmique, ou se situant en univers non déterministe, il s’agit d’utiliser l’ordinateur non plus comme « esclave intelligent » obéissant à une logique procédurale, mais comme un générateur d’inférences travaillant à partir de "prédicats", c'est-à-dire d’une logique décrivant le problème. Une véritable création de Connaissance pourra alors être produite par la machine dans la limite des règles de connaissance et des faits qui lui auront été fournis. Des Systèmes Experts existent dans différents domaines comme par exemple la Médecine où la machine est capable de créer un véritable diagnostic médical, la Géologie où le travail produit par l’ordinateur sera comparable à celui que pourrait produire un expert géologue, etc… etc… Les Systèmes Experts peuvent également être très efficaces dans les machines nomades pour en simplifier l'utilisation et les rendre accessibles au plus grand nombre, comme cela avait été préconisé par Philippe Pionchon en 1991 avec son "hyper-ordinateur" appliquant le paradigme : "la Machine propose, l'Homme choisit" (voir "Hyper-ordinateur"). Les Système Experts sont une sorte de systèmes d'exploitation de logique symbolique, branche moderne de la logique mathématique. Utilisant les très anciens travaux de George Boole (1847), ils se sont largement développés dans les années 60 grâce aux ordinateurs qui sont parfaitement adaptés à cette forme de langage et de calcul. Aujourd'hui les Systèmes Experts, excellents calculateurs en "logique de proposition", constituent un domaine important de l'Intelligence Artificielle car d'une part ils simulent parfaitement le comportement "intelligent" humain et d'autre part ils sont pratiques et très efficaces. La logique de proposition est en effet d'un abord difficile pour les humains et facilement traitée par les ordinateurs. Prenons ces exemples de Lewis Carroll. Voici 3 propositions(ou "sorites" pour les initiés) : - Les bébés sont illogiques - Nul n'est méprisé quand il peut venir à bout d'un crocodile - Les gens illogiques sont méprisés. La conclusion est relativement simple : Mais prenez maintenant ces 10 propositions : - Les seuls animaux de cette maison sont des chats - Tout animal qui aime contempler la lune est apte à devenir un animal familier - Quand je déteste un animal, je l'évite soigneusement - Aucun animal n'est carnivore, à moins qu'il n'aille rôder la nuit - Aucun chat ne manque jamais de tuer les souris - Les kangourous ne sont pas aptes à devenir des animaux familiers - Aucun animal non carnivore ne tue de souris - Je déteste les animaux qui ne s'attachent pas à moi - Les animaux qui vont rôder dehors la nuit aiment toujours contempler la lune Pas facile, admettrez-vous, de tirer la conclusion logique de ces 10 propositions... Un ordinateur pour qui la logique symbolique ne pose aucun problème, vous répondra facilement : Si l'on sait décrire un problème sous forme de propositions, un Système Expert nous le résoudra. Dans le domaine de "résolution de problème", il faut distinguer deux problématiques très différentes : - les problèmes de « Connaissance » - et les problèmes de « Réflexion ». Si les S.E. sont adaptés pour traiter les problèmes de connaissance, ils sont à priori impuissants à traiter, à eux seuls, les problèmes de « réflexion » ou nécessitant une compréhension globale d'une situation. La plupart du temps ils constituent cependant le rouage indispensable pour parvenir à une solution. Le problème de compréhension globale d'une situation est extrêmement important en IA, le principal sans doute. C'est par exemple celui qui se pose actuellement dans le développement des véhicules autonomes ou plus généralement en robotique lorsqu'il s'agit de doter l'androïde d'une compréhension globale de la situation : le S.E. peut alors être accouplé à un système d'IA numérique de reconnaissance de forme ou de reconnaissance vocale, et se révéler très efficace pour "comprendre son environnement", créant ainsi le concept de "Système Expert hybride". (Voir Wikipedia : Systèmes Experts) Ces S.E. sont en effet parfaitement adaptés pour résoudre les problèmes posés aux véhicules autonomes à la fois pour leur permettre d'avoir la compréhension globale nécessaire de toute situation mais aussi pour leur permettre de gérer efficacement les dialogues complexes et obligatoires que chaque véhicule devra avoir avec les autres véhicules autonomes et les organes de circulation, lorsque tout cela sera rendu possible grâce à la "5G". Dans le même ordre d'idée, pour résoudre le problème du jeu de la carte au Bridge, nous verrons plus loin l'efficacité d'un "Système Expert hybride" en accouplant un "moteur de simulation" à un S.E. A cet égard, il est intéressant de souligner à quel point le Bridge, avec sa nécessité de compréhension globale et avec ses trois phases très différentes que sont les enchères, l’entame et le jeu de la carte, couvre bien l’ensemble des aspects du domaine « résolution de problème » et de compréhension globale. Il constitue ainsi un terrain privilégié en investigations théoriques d'actualité, dépassant largement le cadre d'un simple jeu de cartes. Règlons rapidement le problème de l'entame très simple à résoudre puisqu'il s'agit d'une problématique algorithmique qui ne présente aucune difficulté. Le problème des enchères est plus délicat à traiter car il met en oeuvre une connaisance beaucoup plus vaste et plus complexe. Mais Dieu merci il s'agit purement d'un problème de "connnaissance" et les "Systèmes Experts" sont parfaitement désignés pour traiter ce genre de problème. De plus ces systèmes ont une capacité pédagogique naturelle et peuvent très facilement répondre aux questions : « Quelle enchère faire ? » et « Pourquoi cette enchère ? ». Ceci peut très facilement être expliqué en quelques mots. Un Système Expert est composé d'une "base de connaissance", d'une "base de faits" et d'un moteur d'inférences destiné à rapprocher ces 2 bases pour en étudier les corrélations et en déduire une conclusion. - La "base de connaissance" rassemble la connaissance de l'expert du domaine étudié, ici donc le système d'enchères utilisé. Cette base de connaissance s'exprime sous forme de règles très simples du type : "Si A et B alors C". Par exemple : "Si j'ai un jeu régulier, 15-17 H et pas de majeure 5ème alors j'ouvre de 1SA". Ces règles de connaissance peuvent s'écrire en vrac dans la base, sans ordre pré-établi, être rajoutées ou supprimées à loisir, ce qui est bien pratique. Une sorte de logique dynamique en quelque sorte, très facilement modifiable à souhait. - La "base de faits", quant à elle, rassemble tous les paramètres du problème. Cette base de faits contient les données de départ puis s'enrichit au fur et à mesure que le moteur d'inférences crée de nouveaux faits. Par exemple "A existe" ,"B existe" ou encore "J'ai 12 pts H", "J'ai 6 cartes à Pique", "La situation est forcing de manche", etc... etc... Ainsi si on demande "Pourquoi C ?", le système expert répondra très simplement, au nom de la règle x : "C existe parce que A et B existent", ou encore : "J'ouvre de 1SA parce que j'ai 16 pts H, un jeu régulier et pas de majeure 5ème". Les systèmes experts sont des systèmes naturellement pédagogiques qui traitent très facilement l'explication positive. Le problème se complique lorsqu'il s'agit d'"explication négative" c'est-à-dire lorsqu'on lui demande "Pourquoi pas C ?". Dans les années 70 les recherches universitaires butaient irrémédiablement sur le problème de l'explication négative, une variante du "chaînage arrière". L'idée appliquée à l'époque était la suivante : "Si C n'existe pas c'est que dans la règle x soit A n'existe pas, soit B n'existe pas, soit aucun des 2 n'existe." Si A et B ne sont pas instruits dans la base des faits, on regarde alors dans toutes les règles qui concluent à A d'une part, puis à B d'autre part, si l'une des prémisses, au moins, n'est pas vérifiée. Par exemple s'il existe la règle "Si E et F alors A" et si l'on pose la question "non A ?" on regarde si l'on a soit "non E", soit "non F", soit les 2.etc...puis on fait de même pour toutes les règles qui concluent à E et F, etc... ainsi de suite. Idem pour B. En pratiquant ce chaînage arrière systématique, on comprend immédiatement que l'on aboutit rapidement à une explosion combinatoire : cette méthode n'est pas la bonne méthode. Une "force brute" qui ne fait pas intervenir l'expertise du domaine traité, est inefficace. Insoluble pour un universitaire, ce problème était très simple pour un expert. Au début des années 80, Philippe Pionchon a eu l'idée de doubler le moteur d'inférences du système expert d'un second moteur d'"inférences inverses" créant ainsi le nouveau concept très efficace de "Système Expert inverse" ou "Système Expert bimoteur". Inédite, cette idée était assez évidente puisqu'elle correspondait très exactement à ce qui se passe à une table de bridge, chaque joueur ayant en effet à faire 2 choses : - produire une enchère (moteur d'inférences) : "Si A et B alors C" - décoder l'enchère du partenaire (moteur d'inférences inverses) : "Si C alors A et B". Par exemple , si mon partenaire ouvre de 1SA, je déduis qu'il a un jeu régulier et 15-17 H sans majeure 5ème". Le problème de l'explication négative se résoud alors très élégamment de la façon suivante : - Supposons qu'on ait les règles d'inférences : . "Si j'ai 5 cartes à Pique et si je dois faire une enchère non forcing alors je dis 3P". . "Si j'ai 4 ou 5 cartes à Pique et si je dois faire une enchère forcing alors je dis 3K". Le moteur d'inférences inverses donne : . "3P = 5 cartes à Pique, enchère non forcing" . "3K = 4 ou 5 cartes à Pique, enchère forcing". - Supposons que dans la base de faits on a 5 cartes à Pique et on doit faire une enchère forcing : la bonne enchère est donc "3K". - On décode cette enchère avec le moteur d'inférences inverses: "3K = 4 ou 5 cartes à Pique, enchère forcing". - Si maintenant on pose la question "Pourquoi pas 3P ?", on décode 3P : "3P = 5 cartes à Pique, enchère non forcing". La comparaison des 2 inférences inverses donne immédiatement : (Au besoin on affecte à chaque prémisse un coeficient de "préséance", si plusieurs règles concluent à 3K). Grâce à l'apport d'un "Système Expert inverse", constituant in fine un "Système Expert bimoteur", l'explication négative est résolue très simplement par la comparaison des inférences inverses. La simulation au plus près du comportement logique humain, permet d'obtenir des performances intéressantes que ne saurait apporter un traitement par "force brute"... ou encore (moins sérieusement) : « Le moteur d'inférences inverses n'est pas un moteur à explosion ! » Au Bridge le traitement efficace de l'explication négative est primordial comme c'est d'ailleurs souvent le cas en matière d'enseignement quel qu'il soit. L'explication négative doit toujours précéder l'explication positive. Il est en effet difficile de se faire entendre d'un élève qui a envie de dire 3P lorsque vous voulez lui expliquer que la bonne enchère est 3K. Il faut d'abord lui expliquer que 3P n'est pas correct pour qu'il soit disposé à vous écouter : "3P n'est pas forcing, très bien, mais alors quelle enchère faire ?". Ce précepte s'applique à tout domaine d'enseignement. Il est donc remarquable de constater la parfaite adéquation des Systèmes Experts au traitement des enchères de Bridge. Regardons par exemple cette règle d'ouverture : "Si j'ai un jeu régulier, 15-17 H et pas de majeure 5ème alors j'ouvre de 1SA", règle dans laquelle on remarque la présence de la variable "points H". En inventant cette variable, Milton Work ne se doutait pas qu'il créait ce que plus tard Philippe Pionchon a appellé un "experton". C'est autour de ces expertons, véritables "variables magiques", que l'expert organise son expertise, et plus d'expertons pertinents sont décelés par l'expert, plus le système expert sera concis et efficace. Il a ainsi été créé bon nombre d'expertons du genre "Jouable à SA", "Fit majeur","Faire une enchère forcing", "Manche certaine, chelem possible", "Situation forcing", "Manche et pas plus", etc... Ces expertons sont des variables stratégiques autour desquelles le Système Expert de Will-Bridge a été construit et qui lui donne son efficacité. Il est intéressant de noter, une fois de plus, que cela correspond tout à fait au comportement du joueur humain qui, sans le savoir, utilise inconsciemment ces variables. Construire un Système Expert revient à créer les expertons du domaine d'expertise traité, et la recherche de ces expertons permet d'enrichir la connaissance et la pédagogie de cette expertise. C'est en utilisant ces expertons que le Système Expert pourra par exemple prendre des initiatives, "d'inventer" des enchères telles que la "4ème couleur" : en décodant toutes les enchères qu'il pourrait faire dans sa situation, il constate qu'aucune n'est possible pour des questions par exemple de "forcing/non forcing", couleur non gardée, force de la main ou nombre de cartes dans une couleur, qu'il lui manque par conséquent des informations pour faire l'enchère adéquate (l'experton "Jouable à SA" n'étant par exemple pas satisfait) : il pourra prendre tout simplement de lui-même l'initiative "d'inventer" la "4ème couleur". Tout comme le ferait un joueur humain. Les Systèmes experts se sont donc révélés d’une extraordinaire pertinence pour le traitement des enchères, fournissant de surcroît explications positives et négatives. Une nouvelle séquence ou un nouveau "gadget" est-il préconisé ? En quelques minutes on rajoute une ou deux règles dans la base de connaissance et en quelques secondes des tests d’efficacité peuvent être faits sur des milliers de donnes ! Le problème des enchères et de l’entame étant réglé, restait à faire de même pour le problème du "jeu de la carte", beaucoup plus complexe et surtout réputé insoluble en 1984… Historiquement dans le traitement informatique des jeux de stratégie, les premières réalisations de l’Intelligence Artificielle (dans les années 1970) se sont portées sur les Echecs, qui ont pourtant la réputation d’être un jeu beaucoup plus difficile que le Bridge. Alors que rien n’avait été fait pour le Bridge, aux Echecs de nombreuses petites machines individuelles existaient avec un important succès commercial et la question qui intriguait les journalistes de l’époque était alors : "Pourquoi existe-t-il des machines performantes aux Echecs, jeu très compliqué, et pas au Bridge qui est plus simple ?" La réponse est : « Justement… » et constitue le « paradoxe de la difficulté ». Il y a plusieurs différences importantes entre la problématique du jeu d’Echecs et celle du jeu de la carte au Bridge. La principale vient du fait qu’au Bridge il existe des éléments cachés alors qu’aux Echecs tout est « sur la table ». Pour jouer aux Echecs une machine n’a pas besoin d’être « intelligente », il lui suffit de savoir calculer et d'utiliser sa "force brute". Pour cela, un ordinateur est imbattable. Du point de vue combinatoire, le jeu d’Echecs est infiniment plus vaste que celui du bridge. Il l’est même tellement que l’on peut dire que jamais les hommes ne pourront maîtriser ce jeu. En d’autres termes, l’analyse complète et exhaustive d’une situation aux Echecs ne peut être faite par aucun expert au monde et il serait plus juste de dire qu'aux Echecs l'ordinateur joue mal mais personne ne s'en rend compte. C'est d'ailleurs leur mauvaise qualité de jeu qui a fait leur succès commercial : si ces machines avaient joué à un haut niveau, elles auraient été invendables parce qu'inutilisables. De la même façon qu'un robot de tennis de très bon niveau serait inutilisable pour le commun des mortels, incapable de lui renvoyer la balle. Aux Echecs, la machine ayant décidé tel mouvement en cours de partie, personne n'est capable de dire s’il existe un autre mouvement supérieur à tous les autres. Si l'on excepte les problèmes de fin de partie du type "Mat en x coups" par exemple, on peut dire qu'une partie d'Echecs n'a pas de solution et par conséquent le jeu produit par une machine est difficilement critiquable. On pourra seulement constater In fine que la machine a mieux joué, ou moins bien, que son adversaire, sans plus. Cette impossibilité d’appréhension globale est si vraie que, dans une partie d’Echecs, un joueur choisira tel mouvement simplement parce qu’il est « réputé bon » ou parce qu’il « permet un développement agréable » : les développements ultérieurs sont trop nombreux pour qu’il puisse en faire l’analyse complète. Dès lors, et cela devient paradoxal, il est beaucoup plus facile de faire une machine qui joue aux Echecs puisque cela revient à lui soumettre un problème dont personne ne connait la solution ! Pour bien jouer le jeu de la carte du Bridge, il faut « réfléchir »… Etre capable de faire une analyse globale du problème posé. A l'époque, le problème était réputé insoluble. De plus pour le traiter, il faut tenir compte des probabilités, ce qui est relativement facile pour une machine, mais surtout travailler en logique modale , comme disent les mathématiciens, c’est-à-dire faire appel aux théories des possibilités, de crainte, de nécessité… etc Autant de domaines qui sont loin d’être maîtrisés en Intelligence Artificielle. Mais il y a plus grave… Au Bridge la plupart des donnes peut être facilement analysée après coup, à cartes ouvertes, par des joueurs de niveau même faible. Le jeu que produit une machine se trouve dès lors facilement critiquable. Si à un moment donné une carte et une seule carte doit être jouée, tout joueur le verra : la machine doit donc absolument la trouver. Elle a « obligation de résultat ». En conclusion, et là est le paradoxe, aux Echecs, puisque le jeu est très compliqué, quand la machine joue mal personne ne le voit alors qu’au Bridge parce que ce jeu est plus simple, tout le monde peut facilement s’en rendre compte. Une machine a une « obligation de résultat » au Bridge qu’elle n’a pas besoin d’avoir aux Echecs. Comment traiter cette obligation de résultat ? La problématique du jeu de la carte est très diffrente de celle des enchères, ce qui confère au Bridge un intérêt tout à fait exceptionnel pour les investigations en recherches théoriques d’IA. Pour le jeu de la carte, il ne s’agit pas d’un problème de connaissance comme pour les enchères, mais d’un problème de d’analyse, de réflexion et comme cela est expliqué plus loin, de "métaconnaissance". De plus, cette problématique est assez complexe car le jeu à Sans-Atout est très différent du jeu à la couleur. - A Sans-Atout il, le jeu est souvent plus simple car l’absence d’atout fait que tout se passe dans le même « espace mathématique », comme disent les scientifiques : maniements de couleur, problèmes de communications, jeux de sécurité, évitements d’adversaire dangereux, etc… Le problème est souvent « tactique » dans la manipulation des cartes d’une couleur. Grâce à une analyse dynamique de chacune des couleurs effectuée par un "moteur de simulation" reproduisant le processus mental humain, la machine est capable de détecter les caractéristiques de ces couleurs : disymétriques, orientées, sujettes à blocages, etc… et trouver d’elle-même le comportement adéquat en fonction des objectifs et des paramètres fournis. - A la couleur, il s’agit davantage de combinaison de plans : l’approche est plus globale, plus « stratégique ». L’analyse dynamique précédente est alors complétée par une analyse statique de la structure des mains connues qui, mise à disposition d’un Système Expert, détectera les donnes « typées » pour lesquelles le plan de jeu est trivial (double coupe, mort inversé, élimination-placement de main, cumul de chances, etc…) ou, dans les autres cas, proposera plusieurs plans de jeu que la machine explorera, reproduisant ainsi fidèlement le processus mental humain. La problématique du jeu de la carte revient finalement à déterminer contre quelle configuration de cartes adverses il faut jouer. C'est une analyse dynamique, réalisée par un "moteur de simulation", aidée d’une analyse statique réalisée par un Système Expert de "métaconnaissance" (voir plus loin) déterminant une suscipion de gisement de cartes en fonction du contexte détecté (possibilité, nécessité, sécurité, crainte, urgence, probabilité, etc…), qui proposera les plans de jeu à envisager, à simuler puis à sélectionner. Voilà comment a été créé le concept de "Système Expert hybride", ici :
S.E. hybride = Moteur de simulation + S.E. de métaconnaissance
(S'agissant de véhicules autonomes ou d'androïdes, un S.E. hybride serait composé d'un système d'IA numérique avec capteurs, et d'un S.E. de métaconnaissance). La problématique du jeu de la carte est bien un problème d'expertise et il serait beaucoup trop réducteur, d'après Philippe Pionchon, de limiter le calcul de la configuration recherchée à un simple traitement statistique. Soulignons ici, encore une fois, l'intérêt pédagogique des Systèmes Experts qui donneront très facilement l'explication de la stratégie adoptée : quelle analyse faut-il faire de la situation, quels sont les écueils à éviter, pourquoi faut-il jouer telle carte, pourquoi tel plan a-t-il été choisi, pourquoi pas tel autre plan, etc...etc. La métaconnaissance est la « connaissance de la connaissance », c’est-à-dire la connaissance que l’on possède sur la connaissance. Si par exemple on vous demande si Monsieur Smith a été président des Etat-Unis, il s’agit d’un problème de connaissance. Si vous possédez la connaissance, c’est-à-dire si vous possédez la liste des présidents, vous pouvez répondre par oui ou par non. Si maintenant on vous pose la question « Est-ce que Madame Smith a été président des Etats-Unis ? », vous allez immédiatement répondre « non » alors que vous ne possédez pas cette liste, parce que vous savez qu’aucune femme n’a été président des Etats-Unis. La métaconnaissance suffit, vous n’avez pas besoin de la connaissance pour résoudre votre problème. C’est là typiquement une partie importante de la problématique du jeu de la carte au Bridge et, travaillant chez IBM sur la théorie des machines intelligentes, Philippe Pionchon s’est intéressé à ce jeu un peu par hasard parce qu'il présentait l’avantage d’être pertinent, aisément critiquable et facilement modélisable. Rien ne valait en effet le jeu de la carte du Bridge, réputé insoluble à l'époque, pour mettre sa théorie à l’épreuve et démontrer l'efficacité du concept de "Système Expert hybride"qui serait utilisable aujourd'hui dans divers domaines comme par exemple celui des véhicules autonomes ou de la robotique. le jeu au monde le plus scientifique qui soit : il utilise tous les champs de la logique modale et les bridgeurs passent leur temps, sans le savoir, à raisonner en métaconnaissance. » déclarait-il avant de développer son idée de base : bâtir une théorie des machines intelligentes sur un Système Expert de métaconnaissance. n’est-ce pas là la définition même de l’intelligence ? Possibilités, nécessité, crainte, probabilités, voilà en effet de quoi est fait le quotidien des bridgeurs : - « Je ne sais pas qui a le Roi de Trèfle, mais je sais qu’Est a Passé d’entrée et a déjà montré 11 points d’honneur : il n’a donc pas le Roi de Trèfle. » - « Je ne sais pas qui a le Roi de Trèfle, mais je sais que si ce Roi de Trèfle est à droite, je ne peux pas gagner. Puisque mon objectif est de gagner, le Roi de Trèfle est donc à gauche, par nécessité. Je joue donc comme s’il était à gauche de façon certaine. S’il y est, j’ai gagné. S’il n’y est pas, j’ai perdu mais de toutes façons je ne pouvais pas gagner : je n’ai donc rien perdu. » - « J'analyse que seule une distribution 4-0 des atouts adverses met mon contrat en danger. Je considère donc qu’ils sont 4-0 et je cherche une stratégie qui soit également gagnante lorsqu’ils sont 2-2 ou 3-1. » Bien sûr le traitement de la métaconnaissance s’il permet dans de nombreux cas de traiter intelligemment le problème des éléments cachés, n’est pas suffisant mais peut être complété ensuite par un système simple de calcul où la machine trouvera elle–même la solution dans d’autres domaines comme par exemple le maniement de couleurs ou le traitement des jeux de sécurité. - "Je n'ai pas le Roi de Trèfle. Existe-t-il un maniement de couleur qui gagne que ce Roit de Trèfle soit indiféremment à droite ou à gauche ?" La machine le place donc à la fois à droite et à gauche, avec l'instruction bien sûr de ne l'utiliser qu'une seule fois, et, si la solution existe, elle trouvera elle-même le maniement de couleur adéquat... Tout comme, encore une fois, le ferait un joueur humain. Voilà comment avait été résolu le problème des enchères, de l'entame et du du jeu de la carte au bridge, il y a maintenant plus de 30 ans. Tout étant pour le mieux dans le meilleur des mondes, quelle suite a été donnée à toutes ces avancées technologiques ? Il y a 30 ans, l'Intelligence Artificielle n'était pas à la mode, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Bien pire, il sagissait même à l'époque d'un véritable tabou, une lubie de scientifiques. La difficulté de se faire entendre est bien résumée par cette anecdote arrivée à Philippe Pionchon à la fin des années 80. Les journalistes scientifiques de l'époque s'intéressaient beaucoup aux petites machines commercialisées pour jouer aux Echecs. L'un d'eux, spécialiste bien connu, lui demanda un jour : - "Aux Echecs lorsqu'on joue mal contre une machine, elle est "déstabilisée" et se met elle aussi à mal jouer... Qu'en est-il de votre machine de bridge ?" Philippe Pionchon lui expliqua d'abord qu'aux Echecs le problème était très différent. Dans une partie d'Echecs, tous les experts sont d'accord pour dire qu'il y a 3 phases : le début de partie (où l'on "récite" les coups connus), le milieu de partie (très délicat) et la fin de partie où le peu de pièces restantes facilite le calcul arborescent. La difficulté consiste à définir quand passe-t-on d'une phase à l'autre, fameux "problème aux limites" que connaissent bien les physiciens. Pour chacune de ces 3 phases, le logiciel applique des stratégies différentes et une règle communément admise dit qu'on passe en deuxième phase dès qu'on a "roqué" : ainsi par exemple en début de partie, il suffit de "roquer" prématurément pour que la machine se croit en milieu de partie et avance inprudemment son Roi au centre de l'échiquier ! Elle n'est pas "déstabilisée". - "Que se passe-t-il avec ma machine de bridge ? Ecoutez, je n'en sais rien mais faisons un essai..." Le journaliste composa donc un problème et donna uniquement bien sûr à la machine, le déclarant, le jeu de Sud et celui de Nord. Il entama et quelques plis plus tard, avec les cartes d'Est et d'Ouest inconnues de la machine, il fit exprès de donner une levée au déclarant. La machine encaissa le pli et déclara... "Merci beaucoup !" Tout le monde semblait ravi de cette démonstration et Philippe Pionchon s'attendait à quelques publications flatteuses dans la presse spécialisée... Rien ne se passa. Deux années plus tard le hasard fit que Philippe Pionchon rencontra à nouveau ce journaliste et lui demanda : - "Vous rappelez-vous notre essai il y a 2 ans ? Qu'en aviez-vous pensé ?" Le journaliste lui répondit alors très intéressé : - "En effet je m'en souviens très bien mais, dites-moi, cela s'est passé il y a 2 ans, vous pouvez bien me le dire maintenant : comment avez-vous fait pour tricher ?" Il n'est jamais bon d'être trop en avance sur son temps : il était bien nécessaire de devoir attendre encore 30 ans... « - Insoluble, insoluble… » « - Vous avez dit insoluble, mon cher cousin ? Comme c'est étrange... » |